Depuis quelques années, l’expression « burn out » s’est démocratisée. Burn out des travailleurs, burn out des mères de famille, burn out des organisations, burn out de l’économie, burn out des océans… Le concept fut ensuite décliné en « burn in », « bore out », … traduit en « épuisement professionnel », « syndrome d’épuisement », « asthénie psychique », … et souvent confondu avec la dépression. Faisons le point.

Le burn out n’est pas (encore) reconnu, à fortiori comme maladie professionnelle

En France comme en Belgique, le burn out n’est pas reconnu en tant que maladie, pas plus que l’épuisement professionnel. C’est un concept que la médecine ne connait pas. Il n’existe pas dans les rouages de la sécurité sociale. Concrètement, un médecin ne peut donc pas indiquer « burn out » sur un certificat, le document ne serait pas valable.

Cela ne veut pas pour autant dire que la personne qui en souffre ne peut pas être aidée. Le médecin peut prescrire aujourd’hui un arrêt pour « état anxieux et dépressif majeur » : il se limite aux symptômes. L’enjeu de la reconnaissance du burn out comme maladie n’est pas d’abord individuel : il tient surtout au financement de structures spécifiques, à son traitement à part au sein de la sécurité sociale et à l’encadrement juridique des entreprises.

Comment le burn out peut-il être reconnu comme maladie? L’OMS (Organisation mondiale de la santé) publie le Classement International des Maladies (CIM), une sorte de dictionnaire des maladies connues leur octroyant à chacune un code. Exemples : Syndrome des jambes sans repos (7A80), Trouble périodique du mouvement des membres (7A81), Spasme hémifacial (8B88.2). Le CIM est mis à jour environ tous les dix ans. En ce qui concerne les troubles de la santé mentale, la société américaine de psychiatrie fait autorité avec la publication du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Ces deux listes sont la référence internationale sur laquelle s’appuient les états. Et le burn out n’est inscrit dans aucune des deux. Peut-être le sera-t-il dans les prochaines éditions.

Une fois une maladie reconnue, une étape supplémentaire revient à la reconnaitre comme maladie professionnelle. Les pouvoirs politiques et syndicaux dressent ensemble, parmi les maladies connues, celles qui sont liées principalement à l’activité professionnelle. Maladies dues à une surexposition à des produits toxiques, affections articulaires dues au travail, … Les entreprises cotisent à la caisse ATMP (accident du travail et maladies professionnelles) qui finance alors la prise en charge de la personne à la place de la sécurité sociale. Le burn out n’est évidemment pas repris dans cette la liste des maladies professionnelles, puisqu’il n’est pas encore reconnu comme maladie tout court. Précisons cependant qu’une personne en burn out peut parfois obtenir la reconnaissance de l’origine professionnelle de son état en s’adressant à un CRRMP (Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles).

Concrètement, un burn out, c’est quoi?

Le burn out est un processus de dégradation du rapport subjectif de l’individu à son activité. Pour faire très court, la personne en fait trop pendant trop longtemps sans récupérer suffisamment, et finit par s’épuiser.

Ce processus connaît quatre phases:

  1. La phase d’engagement : la personne est très engagée dans son activité, généralement plus que la moyenne.
  2. La phase de surengagement : suite à un déclencheur (nouveau projet, nouvelle position, changement d’organisation, …) le travail prend toute la place sur la vie personnelle.
  3. La phase de résistance : la personne nie son surmenage, pense et dit qu’elle y arrivera, s’acharne.
  4. La phase d’effondrement : cette phase peut être progressive ou brutale. L’estime de soi est anéantie, la personne est dans l’incapacité de se concentrer, de travailler, le cerveau et parfois le corps patinent, la machine ne répond plus. Les symptômes sont émotionnels, physiques, cognitifs, comportementaux et motivationnels.

En termes de symptômes, le burn out peut se traduire de mille manières. Fatigue passagère, lente dépression, AVC, accident cardio-vasculaire, décompensation soudaine…

Du point de vue strictement médical, il est vrai que le burnout produit une valse hormonale frénétique avec (entre autre) l’hyper sécrétion de cortisol qui endommage les neurones de l’hippocampe (zone responsable de la mémoire et de la concentration) et du cortex préfrontal (prévoyance et prévision de changement, planning et prise de décisions), sans oublier les conséquences sur la digestion et le système immunitaire, le pancréas et le foie.

L’intervention de Claire Lasry à l’assemblée nationale, le 13 juillet 2016, illustre et détaille ce processus.

L’origine n’est pas la même.

Illustrons la différence par une image : le burn out est à la neige sur le toit ce que la dépression est aux termites.

Soumise à une pression extérieure excessive, la structure intérieure de l’individu, sa charpente psychique, ne résiste pas et s’effondre, comme une maison sous la pression d’un excès de neige sur le toit. La dépression ressemble plus à l’effet des termites : la charpente s’effondre également, mais à cause d’un problème intérieur.

On confond souvent la dépression avec le burn out. En effet, dans les deux cas la structure psychique de l’individu est atteinte. La grande différence, c’est que dans la dépression, la rupture de la charpente n’est pas due à une pression extérieure, mais à une cause intérieure. Un mal qui ronge la structure de l’intérieur, et finit par ne plus permettre à l’individu de résister à une pression normale.


Le champ n’est pas le même.

Une personne qui vit une dépression sera généralement déprimée dans l’ensemble de ses champs d’activité, alors qu’une personne qui traverse le burn out sera surtout en difficulté dans le champ professionnel. Elle conserve le goût pour les activités privées.

Le mouvement est inverse.

Le burn out est les résultat d’un déséquilibre physiologique qui a des répercussions psychologiques. C’est l’inverse dans le cas de la dépression.

Quelles sont les causes du burn out?

Prenons une autre image pour illustrer ce qui peut entraîner un burn out.

Considérons que nous possédons un réservoir d’énergie. Les activités de notre quotidien nous prennent de l’énergie ou nous en donnent, et ce rapport est unique à chacun. Par exemple, si l’un trouvera son énergie dans le contact avec la clientèle, ce sera l’aspect le plus épuisant pour un autre. Inversement, ce dernier trouvera son énergie dans l’ambiance avec les collègues, là où le premier y verra peut-être un investissement inutile.

Dans notre quotidien, nous essayerons donc de conserver un équilibre entre les activités qui nous prennent de l’énergie et celles qui nous en procurent. Le burn out est une situation d’épuisement de l’individu, entraînée par un déséquilibre entre ses dépenses et ses apports d’énergie. Prenons la personne qui, dans l’exemple ci-dessus, trouvait toute son énergie dans le contact avec la clientèle, et qui suite à une restructuration s’en trouve privée. Si cette situation dure trop longtemps, la personne va peu à peu se vide, à forcer de dépenser et de ne rien recevoir en retour.

Lorsque nous vidons nos réservoirs plus vite que nous les remplissons, un jour nous tombons à court d’énergie, nous nous effondrons sur nous-mêmes, c’est le burn out. Littéralement, en anglais, « consumé ».

Pour aller plus loin, considérons que ce réservoir est fait en réalité de quatre compartiments. Les réservoirs d’énergie physique, mentale, émotionnelle, et spirituelle. Il est probablement sage d’être en équilibre dans nos dépenses et apports de chacun de ces réservoirs. Si par exemple nous sommes en pleine forme physique, mais épuisés émotionellement par une situation de conflit, nous ne sommes pas en équilibre intérieur pour travailler sereinement.

Un exemple de burn out?

La pression extérieure, l’équilibre entre les dépenses et les apports d’énergie sont des approches d’explication du burn out. Prenons quelques exemples de situations réelles qui sont typiquement génératrices de burn out.

Prenons le cas d’un responsable de région dans les télécommunications. Il reçoit un appel de la direction, pour un client à connecter de toute urgence. Après étude, il apparaît qu’il faut ouvrir une tranchée sur 100 mètres pour poser un câble. Le responsable, vu l’urgence, évalue le temps au plus court, appelle le client et lui signale que sa connexion devrait être disponible dans six semaines.

La commune, malgré les rappels et après une attente de deux mois, renvoie les plans en indiquant qu’ils doivent être revus à cause d’une erreur… de langue dans le nom d’une rue. Puis ce sont des délais supplémentaires pour s’accorder avec une entreprise de gaz, des grèves du personnel, le refus des syndicats de laisser une société externe faire le travail, les problèmes informatiques, le gel… Il faudra 14 mois pour creuser une malheureuse tranchée de 100 mètres. Le responsable a dépensé 99% de son énergie, sous pression de la hiérarchie et du client, à tenter de vaincre l’inertie de l’environnement.

La disproportion totale entre l’énergie à investir, sous pression, et l’objectif à atteindre, est typiquement un générateur de burn out.

Prenons aussi le cas d’une infirmière qui rêvait d’apporter de la présence humaine aux personnes en souffrance, et qui dix ans plus tard se retrouve dans un service à courir en permanence, noyée sous des aspects administratifs et sous la pression des chiffres.

Il lui est par exemple demandé de faire les piqûres en moins de 7 minutes, pour une question de rentabilité. Elle n’a donc plus le temps de mettre le patient en confiance, de laisser sa main prendre la température du corps à toucher, … on n’a pas le temps.

Son travail a perdu tout son sens : ce qui lui donnait de l’énergie dans son travail a totalement disparu, il ne reste plus que les aspects pénibles et la pression de temps, qu’elle avait acceptés lorsqu’ils étaient contrebalancés par les joies. Peu à peu son métier sans âme l’épuise.

Un dernier exemple peut être celui d’un gérant de magasin au sein d’un petit réseau d’épiceries. L’ambiance y est chaleureuse et familiale, le lien au client est direct et apprécié. Un jour, le réseau est racheté par un grand groupe de distribution. Un sous-directeur est envoyé depuis le siège, pour gérer la transformation du magasin, le changement de culture, et les éventuels changements d’équipe.

Les services sont standardisés, plus question de personnaliser le rapport au client. Pour augmenter la rentabilité, certains services sont supprimés. Le gérant freine ce changement autant qu’il peut, se sentant légitime dans sa gestion précédente, validée par la bonne relation qu’il possédait avec ses clients. Rongé par ce changement qui va contre ses valeurs, coincé entre sa hiérarchie, son nouveau sous-directeur, et le personnel, il s’épuise.
Un beau matin, il n’arrive plus à se lever. Son corps ne répond plus, il est épuisé. C’est le burn out.

Le burn out, à qui la faute?

Au vu des exemples ci-dessus, on pourrait facilement conclure que la responsabilité du burn out incombe à l’entreprise. Ce serait un mauvais raccourci.

L’académie de médecine, dans son rapport publié en février 2016, dit avec sagesse du burn out qu’il est « le résultat de la rencontre entre un individu et une situation ». En effet, deux collègues face à la même situation ne vont pas réagir de la même façon. En fonction de notre éducation, de notre capacité à prendre du recul, de notre sens du devoir, de nos sources d’énergie hors travail (famille, sport, autres engagements,…), nous réagirons différemment aux mêmes situations. Certains s’adapteront facilement, d’autres s’opposeront, d’autres encore se tairont, …

Certains vont même eux-mêmes créer la situation de leur propre burn out. Nous avons parfois le désir de nous auto-investir de missions de sauvetage de personnes, de situations, d’organisations. Aider ceux qui ne demandent pas d’aide, proposer des idées de changement ou de projets à notre hiérarchie qui n’en attend pas, … nous investir corps et âme dans des missions de lutte contre le monde entier, sans que personne ne nous l’ait demandé.

Si le rapport de poids entre la responsabilité de l’individu et celle de l’environnement professionnel peut varier (50/50, 10/90, 100/0, …), les statistiques montrent que l’environnement professionnel est majoritairement la cause principale. Charge de travail excessive, pression chronique du temps, conflits, procédures abusives, … si le travail n’a pas vocation à contenir en lui-même des espaces de récupération de fatigue physique, peut-être devrait-il en être autrement de la fatigue psychique? S’il est normal de rentrer fatigué physiquement chez soi le soir, l’est-il autant de quitter le travail dans un état d’épuisement psychique?

Peut-être n’est-il pas malsain de considérer que si l’entreprise est un appareil économique au service d’une cause de production, elle est également une communauté d’individus au service de cette cause. Cette communauté d’individus a peut-être aujourd’hui à repenser sa valeur du collectif, sa capacité à protéger ses membres, à réintroduire des valeurs de bienveillance et de compassion?

Le burn out, c’est fréquent?

Le burn out est une thématique encore nouvelle. Les premières études ont permis d’obtenir des chiffres globaux. Ainsi, reprenant les chiffres de l’European Burn Out Institute, les problèmes de stress, de dépression et d’anxiété liés au travail touchent 15,8% de la population active européenne. La dépression est le plus grand problème de santé mentale chez les Européens en âge de travailler : 20% d’entre eux ont reçu un diagnostic de dépression à un moment de leur vie. Le coût de la dépression a été estimé à 92 milliards d’euros en 2010 au sein de l’UE, avec une perte de productivité représentant plus de 50% du total des coûts liés à la dépression.

Selon les chiffres du ministère de la santé belge, 83.000 ont vécu un burn out en 2014. En France, on estime ce nombre entre 200.000 et 600.000. De nombreuses études basées sur une auto-évaluation par le travailleur rapportent des taux de burn-out atteignant 30% voire dépassant 40% dans les populations étudiées3. En Belgique encore, le burn out provoque une invalidité d’une durée moyenne de 7 mois, et 15% des personnes touchées ne retourneront jamais sur le marché du travail.

Il faut noter encore que lorsque la personne est mal accompagnée, la rechute n’est jamais loin: on estime à 50% le taux de rechute dans les deux ans suivant la première crise.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) prévoit qu’en 2020, le stress sera la principale cause d’incapacité de travail, or le burn out en est une conséquences majeures.

Le burn out, un coût pour l’entreprise?

Le coût de la dépression est évalué à 92 milliards d’euros en 2010 au sein de l’UE. L’incapacité de travail, dont le stress est devenue la première cause, a dépassé le coût du chômage en Belgique en 2015.

Au niveau d’une entreprise individuelle, il est difficile d’établir un coût précis. Le salaire de l’individu en arrêt maladie est rapidement repris par la sécurité sociale, son absence de représente donc plus un coût direct pour l’entreprise.

Cependant, puisque l’entreprise est tenue de conserver sa place à l’employé malade, elle aura recours à des contrats à durée déterminée. Au sein des structures importantes, où les règles internes de budgets en ressources humaines ne permettent pas facilement une embauche supplémentaire, le travail de l’absent sera souvent repris par les collègues.

Coûts de formation du remplaçant, temps d’adaptation, surcharge des collègues, discontinuité de productivité, considérant que le burn out touche majoritairement les individus les plus motivés, on peut considérer le coût indirect pour une entreprise au salaire brut de l’employé absent.

Pour une entreprise de 1000 employés, le coût du burn out peut être estimé entre 300.000 et 500.000 euros annuels.